De gros nuages gris s’étaient installés depuis quelques jours, élisant domicile dans le ciel au dessus de la Michigan Valley University. Un temps qui ne donnerai le moral à personne, et qui ne donnait encore moins envie de sortir de son lit. Ce matin là, Juliet Hawkins avait reculé deux fois son réveil, qui tentait en vain de la faire émerger. Sa colocataire avait déjà quitté la chambre, mais Juliet restait enroulée chaudement dans sa couette. Les cheveux en pagaille, elle se décida néanmoins à bouger. Elle devait aller en cours. C’était la rentrée, et elle n’allait quand même pas se mettre à sécher, c’était loin d’être son genre. Parvenant à sortir les deux pieds de son lit, elle s’étira, puis prit rapidement le chemin de la salle de bain.

Dix minutes plus tard, habillée d’un jean et d’un petit pull en coton gris souris, Juliet sortit de sa chambre, après avoir pris soin de faire son lit. Les couloirs de l’Université étaient longs et bondés d’étudiants. A plusieurs reprises, la demoiselle se stoppa pour dire bonjour, et échanger quelques mots avec des amis, puis reprit son chemin. La matinée allait être longue, mais elle avait quelque chose à préparer : ce midi elle déjeunerait à la cafétéria avec sa petite sœur, Chuck, et elle devait la convaincre d’une chose qui lui tenait à cœur. Juliet savait déjà que ce ne serait pas facile, que Chuck se buterait, têtue comme elle était. Mais ça ne faisait rien. Juliet était-elle aussi têtue, et elle ne se laisserait pas faire, elle ne lâcherait pas l’affaire tant que Chuck n’accepterait pas ce qu’elle allait lui demander.
Jetant un rapide coup d’œil à l’horloge qui trônait accrochée sur un mur, la jeune femme prit alors conscience que son premier cours de l’année scolaire débutait dans pas moins de cinq minutes, et qu’il se trouvait dans le bâtiment suivant. Elle accéléra alors le pas : inutile de se faire remarquer le premier jour ! « Hey, Jules ! Salut ! T’as passé un bon été ? » S’exclama un jeune homme adossé contre le mur des toilettes pour femmes. L’interpellée lui fit un rapide sourire, accompagné d’un petit geste de la main afin de lui faire comprendre qu’elle n’avait aucunement le temps de bavarder avec lui, et tourna à gauche pour quitter le bâtiment principal et se rendre dans un autre, plus petit et où la foule semblait moins dense. Comme elle l’avait imaginé, le cours de droit pénal qu’elle subi fut long et ennuyeux. De nombreuses fois, elle entendit son estomac grogné, lui rappelant alors qu’elle n’avait pas daigner manger quoi que ce soit ce matin, et c’est donc avec une soudaine impatience qu’elle attendit que la sonnerie de 12h retentisse dans l’université. Et cette dernière se fit attendre, puis avec un énorme soulagement, Juliet fini par l’entendre. En quelques minutes, elle rassembla ses affaires, prévint ses amis qu’elle déjeunait avec sa sœur, et quitta l’amphithéâtre. Il ne lui fallu que quelques minutes pour arriver à la cafète. Très vite, elle aperçu Chuck qui s’était déjà installée à une table et semblait l’attendre tout en pianotant sur son téléphone portable. « A qui t’envoie un si long sms ? » demanda l’aînée des Hawkins en déposant son plateau face à celui de sa sœur. Curieuse ? Non, si peu…

Il y avait une chose qui irritait profondément Chuck, que ses sœurs se permettent de croire que le pavillon de la sororité était un bordel. Comme les valeurs des AKΛ l’exigeaient, seules des jeunes femmes indépendantes, s’affirmant et traitant la gente masculine comme des objets résidaient entre ses murs. Seulement, elles n’étaient pas obligées d’étaler leur vie sexuelle en s’égosillant toute la nuit. Mais pire encore, lorsqu’elle devait se résoudre à piquer une crise de colère, elle s’était prise dans la tête un « t’es jalouse ! ». Elle ne pouvait pas dévoiler sa vie privée ce qui restait très frustrant et ne se permettrait pas de leur mentir, elle était donc obligée de reprendre la situation en main. Descendant dans le salon, elle y voyait bon nombre des membres de la confrérie, et la jeune fille qu’elle avait eut le loisir de reconnaitre hier, était au centre des conversations. Sa nouvelle relation assez sulfureuse faisait jaser, et elle adorait se venter de sa toute nouvelle prise. Si Chuck ne niait pas, pour avoir croisé le jeune homme, qu’il était plus qu’attirant, elle ne voyait pas de raison d’en parler encore et encore. Sans doute qu’une pointe de jalousie et de cynisme venait tinter ses pensées, elle aurait souhaité pouvoir en parler ouvertement, après tout, elle se sentait bien avec Marley. A ceci près, qu’il sortait avec sa meilleure amie. Toussotant sans provoquer la moindre réaction, elle finit pourtant par attirer leur attention en gueulant. Chuck n’était pas le genre de jeune femme subtile, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’elle fasse dans la finesse, elle était étrangère à ce genre de pratique. « Je suis ravie de savoir que tu t’épanouie à ce point là, sincèrement. Mais la nuit, il y a certaine personne qui aime l’idée de dormir. Donc je le redis pour la dernière fois, ce pavillon n’est pas un baisodrome. Apprends la discrétion, tu auras l’air plus distinguée. » Affichant un sourire des plus hypocrites, elle finit par claquer la porte du pavillon n’attendant pas une réaction positive ou négative. Elle aurait le dernier mot, il n’y avait rien d’autre à dire de toute façon. C’était un peu la mine renfrognée que la jeune Hawkins se rendit à son premier cours. Elle n’aimait pas commencer la journée d’une façon aussi « négative » et préférait de loin se réveiller du bon pied comme on dit. Encore aurait-il fallut qu’elle ait pu fermer l’œil, mais le côté très expressif d’une de ses colocataires, avait perturbé sa nuit. C’était donc un peu distraite qu’elle prenait ses notes, n’écoutant pas vraiment les propos de son professeur, elle s’occupait en griffonnant bêtement sur sa feuille sans que ça n’ait le moindre sens. Regardant son téléphone portable encore et encore attendant avec impatience la pause déjeuner. Elle avait rendez-vous avec sa sœur, et un moment entre filles ne pourrait que la remettre d’aplomb pour le reste de la journée. Lorsqu’elle put enfin se rendre à la cafétéria, elle salua quelques personnes qu’elle connaissait, qu’il s’agisse de simples connaissances ou non. Se servant très rapidement une petite salade et un soda, elle prit place à une table choisi complètement au hasard, espérant que personne ne souhaiterait s’assoir avant que sa sœur n’arrive. Elle n’avait pas vraiment le cœur à se prendre la tête une fois de plus. Son rêve à cet instant ? Son lit, elle voulait se glisser sous ses couvertures et dormir et encore dormir. Elle se détestait même en réalisant la première personne à qui elle avait pensé … Attrapant son téléphone portable trainant dans son sac, elle s’empressa de lui envoyer un texto qui n’en finissait pas, comme à chaque fois, elle avait trop de choses à lui dire et pas toujours des plus sympathiques. La contradiction faisait définitivement partie d’elle. « A qui t’envoie un si long sms ? » Sursautant en entendant la voix si familière de sa sœur, elle releva le regard vers elle, appuyant sur « envoyé » un peu dans la précipitation. « Oh euh .. Un ami .. » Ce qui était vrai d’ailleurs, posant alors son téléphone portable à côté de son plateau, elle afficha un sourire des plus sincères avant de reprendre. « Si tu savais comme je suis contente qu’on déjeune ensemble, si j’avais du retourner au pavillon, j’en aurais tué quelques unes. » Riant brièvement, elle se résolu à remuer sa salade, avant d’ouvrir sa canette. « Alors ta première matinée s’est bien passé ? »

Le malaise de sa sœur suite à sa question n’échappa évidemment pas à Juliet. Elle connaissait Chuck par cœur, et savait pertinemment que ces derniers temps, elle ne lui disait pas tout. Ces derniers mois, même, car cela faisait un moment que ça durait. Pourtant, la jeune femme n’insista pas. Sa petite sœur avait le droit de garder des choses pour elle, c’était tout à fait normal d’ailleurs, on avait tous droit à nos petits secrets. Une fois assise face à Chuck, Juliet croisa les jambes sous la table, et ouvrit la bouteille d’eau qui se trouvait sur son plateau. Le brouhaha incessant du réfectoire commençait déjà à la gonfler, elle ne déjeunait pas souvent ici, et c’était en partie à cause de ça. C’était toujours mieux de manger dans un endroit calme et reposant, plutôt que dans une salle bondée et bruyante, non ? Mais Chuck avait convenu qu’elles se retrouvent ici, alors Juliet avait bien entendu accepté : elle ne pouvait tout simplement rien refuser (ou presque) à sa petite sœur. Enfin, bon, avouons-le, c’était aussi pour ne pas la mettre trop en rogne, et pouvoir lui annoncer ce qu’elle avait à lui dire, calmement et dans des conditions optimales. Mais bizarrement, quand elle vit les jolies cernes que sa petite sœur avait sous les yeux et que celle-ci lui avoua que si elle était retournée à la résidence ce midi, elle en aurait certainement tué une, Juliet compris que ce serait bien plus difficile que prévu : même si elle y avait tout fait pour, les conditions ne seraient pas optimales.
« Tu l’as voulu cette Sororité, tu l’as eu ! » répondit-elle avant de porter la bouteille d’eau à ses lèvres. Une petite pointe de jalousie ? Peut-être bien, puisque Juliet n’avait jamais fait parti d’une confrérie, bien qu’à son arrivée à la MVU, la demoiselle avait postulé pour faire partit des Oméga Phi. Mais pour une raison qu’elle ignorait totalement, sa candidature avait été refusée sèchement. Du coup, elle avait perdu toute sa motivation pour faire partie d’une sororité, et avait même tenté de convaincre sa sœur de ne pas s’occuper de ces groupes d’étudiants, en vain, puisque Chuck était aujourd’hui présidente des Alpha Kappa Lambda. Elle avait donc parfaitement réussi, là où sa grande sœur avait échoué.

Un petit sourire s’afficha néanmoins sur le visage de Juliet en voyant la mine dépitée de sa sœur. Non, en effet, la partie était loin d’être gagnée, mais Juliet n’allait pas renoncer pour autant. Elle attendrait quelques minutes, peut-être même la fin du repas pour lancer le sujet « maman » sur le tapis. Mieux valait être prudente avec ce sujet houleux entre elles-deux, et Juliet savait d’ores et déjà que ça ferait de nouvelles étincelles. « Alors ta première matinée s’est bien passé ? » demanda la brunette tout en remuant sa salade sans grande conviction. Juliet attrapa une frite de son assiette et croqua dedans. « Ouais, super, super, super chiante ! Mais bon, je le savais, ça a toujours été chiant avec ce prof, ce sera mieux cet aprèm. Et toi ? »

« Tu l’as voulu cette Sororité, tu l’as eu ! » Chuck sentit comme une petite pointe de ressentiment dans la voix de sa sœur. Ce n’était peut être pas si anormale que ça, de toute évidence, Juliet gardait une petite rancœur. A son entrée à la MVU cette dernière avait postulé pour les Omega Phi -orientation qui aujourd’hui déplaisait à Chuck- s’étant faite recalée sans raison apparente. Chuck restait persuadée que son compte en banque y était pour quelque chose. Il n’y avait qu’à voir ces filles prétentieuses, elles aimaient agiter l’argent de papa et maman et se sentir supérieur. Non Chuck ne correspondait vraiment pas à cette confrérie, et elle ne comprenait pas que sa sœur ait pu s’en sentir proche. Elle ne comprenait pas non plus le choix de Sienna, mais le respectait. Juliet et Sienna, avaient d’ailleurs souhaité dissuader la brunette lorsqu’elle émit le souhait d’entrer chez les Alpha Kappa Lambda. Mais une fois n’est pas coutume, elle n’en démordit pas, et se mit en tête de parvenir un jour à obtenir la tête de cette confrérie qu’elle jugeait parfait pour elle. Et là voilà, aujourd’hui présidente, une des plus grandes fiertés de la jeune femme. Certes ça ne pouvait pas être facile tout les jours, mais elle était convaincu qu’elle serait capable de gérer mieux que personne. « J’ai toujours ce que je veux sœurette ! » Lui dit-elle d’un air malicieux, ce qui n’était d’ailleurs pas faux. Sa détermination payait toujours. Ambitieuse, Chuck ne reculait devant rien pour obtenir ce qu’elle souhaitait, quitte à se faire plus d’ennemi que nécessaire. N’ayant pas beaucoup de scrupule, elle n’était pas pour autant égoïste, simplement persuadée qu’elle devait provoquer sa propre chance et tout faire pour aller le plus loin possible. Beaucoup préférait compter sur les autres, ce n’était pas du tout son cas, bien au contraire, préférant et de loin, tout obtenir par ses propres moyens. La victoire était ainsi bien plus satisfaisante et gratifiante. Malgré le soutiens de bons nombres de ses « sœurs » elle savait qu’elle avait gagné par elle-même et c’était là ce qui comptait. Il s’agissait d’un exemple parmi tant d’autres. Marley échappait à la règle, on ne pouvait pas dire qu’elle l’avait convoité dans l’ombre de sa meilleure amie, cette fois-ci ça s’était fait un peu malgré elle, et c’était bien la seule chose qui pouvait la dégouter d’elle-même. « Ouais, super, super, super chiante ! Mais bon, je le savais, ça a toujours été chiant avec ce prof, ce sera mieux cet aprèm. Et toi ? » C’était un peu l’inconvénient des études, on assistait pas toujours à des cours passionnants, et des matières pouvant susciter un intérêt certain, pourrait très vite devenir des plus barbantes si le professeur était incompétent. Et il fallait admettre que bon nombres de professeurs ne fournissaient plus vraiment d’efforts, se fichant finalement de la réussite de leurs élèves. Une chose que ne concevait pas Chuck, autant bosser, autant faire les choses bien, quel intérêt y avait-il sinon ? « Pfou, j’étais trop endormie et contrariée pour me souvenir. Je crois même n’avoir écrit aucune phrase pouvant avoir un sens. » Dit-elle un sourire amusé aux lèvres. Elle rattraperait son cours, et ne se faisait pas trop de soucis pour ça, elle était davantage une travailleuse solitaire. Mais une question taraudait l’esprit de la brunette, bien que ce déjeuner lui faisait beaucoup de bien et la remettait de bonne humeur. « Mais dis moi sœurette ! Y a t-il une raison cachée à ce déjeuner entre sœurs ? Non pas que ça ne me plaise pas, mais je m’interroge. » Toujours souriante, et finissant par avaler quelques feuilles de salade, regrettant déjà de ne pas avoir pris quelque chose de plus consistant, elle posait son regard sur son aîné dans l’attente d’une réponse.

Alors que sa jeune sœur affirmait avoir toujours eu ce qu’elle voulait, Juliet ne pu s’empêcher de sourire sincèrement. C’était vrai que Chuck avait presque toujours eu ce qu’elle voulait. L’aînée des Hawkins s’étonnait d’ailleurs à de nombreuses reprises, encore aujourd’hui, quand sa petite sœur jouait des pieds et des mains pour obtenir ce dont elle avait en tête, mais surtout, lorsqu’elle obtenait cette chose. Cela pouvait être pour une simple broutille telle le dernier gâteau du paquet, ou plus sérieusement comme un garçon, ou tout simplement d’être à la tête de la sororité Alpha Kappa Lambda. Bien qu’elle refuse e se l’avouer, Chuck avait bien plus de ressemblance avec la maman Hawkins, qu’elle ne voulait bien le prétendre. A vrai dire, la mère et la fille étaient presque des copies, et à chaque fois que Juliet lui en faisait la remarque, et donc lançait le sujet « maman » sur le tapis, Chuck prenait la mouche.
Juliet savait pertinemment que c’était ce qui allait se passer ce midi là, puisque comme venait de le faire subitement remarquer la brunette, il y avait bel et bien une « raison cachée » à ce déjeuner entre sœurs. Quelques jours auparavant, Madame Hawkins –qui ne porte d’ailleurs plus ce nom depuis le divorce-, avait téléphoné à sa plus grande fille, à savoir Juliet. Ce choix n’était évidemment pas anodin, puisqu’elle savait très bien que Charlie n’aurait jamais daigné lui répondre. Alors que Juliet, sa petite Jules, ne l’éviterait pas. Comme vous l’avez compris, la relation entre ces trois femmes était légèrement compliquée.

Face à cette question, Juliet posa sa fourchette sur la table et termina sa bouchée. Elle prit plusieurs secondes avant de commencer à répondre, cherchant ses mots –bien qu’elle les avait cherché toute la matinée-, les mots justes qui pouvait amorcer la situation et que Chuck n’en fasse pas tout un drame aussitôt. Autant le dire tout de suite : la tache serait périlleuse, et Jules en avait bonne conscience. « Tu as quelque chose de prévu pour le week-end prochain ? » commença telle tout d’abord.
Une petite technique d’approche : si Chuck disait d’emblée qu’elle avait déjà quelque chose de prévu, l’affaire serait d’autant plus difficile à conclure. Alors que si la demoiselle était totalement disponible, elle aurait une raison en moins de se défiler pour affronter cette chère maman. Heureusement pour Juliet, sa petite sœur répondit par la négative. Elle ne semblait pas encore apercevoir le pot-aux-roses que venait d’installer son aînée, mais ne tarderait évidemment pas à le découvrir.
« Super, alors considère désormais que tu es prise… maman veut qu’on passe le week-end toutes les trois… » Reprit-elle, annonçant enfin la couleur de la situation. « S’il te plait Chuck, fais ça pour moi, je sais que tu ne veux pas la voir, mais fais un effort….. un petit effort…. Ok, un minime effort… » Enchaina-t-elle avant que sa sœur n’ait eu le temps de répondre. Joignant gestes à la parole, elle lui afficha un petit sourire sincère, suppliant même. Juliet voulait que tout rentre dans l’ordre entre les deux femmes, puisqu’elle se trouvait dans la position la plus inconfortable qui soit : coincée entre elle deux. Elle savait parfaitement que leur mère n’était pas un ange et avait un bon nombre de chose à se faire pardonner, mais savait également que Chuck était têtue comme un âne, et cela rendait la situation difficilement gérable.